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Changement d’horizon

L’Azerbaïdjan est le premier pays de notre parcours qui nécessite un visa. Ce sont nos premières confrontations avec des états policiers plus ou moins corrompus. Les douaniers se passent le mot sur les talkies : « Des touristes sont arrivés ! ». Nous passons en priorité, mais les démarches prennent du temps et sont parfois aberrantes. Un douanier vient nous demander à voix basse et avec un grand sourire « Avez-vous un CD de Patricia Kaas dans la voiture ? ». Surtout ne pas rire, surtout ne pas rire. « Ha non nous sommes vraiment désolés ! ».

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Le président !

Nous réservons nos premiers jours à la découverte du Nord de l’Azerbaïdjan avant de rallier Bakou pour prendre le ferry qui doit nous mener au Kazakhstan. Le pays a l’air plutôt riche et offre un contraste frappant avec la Géorgie ou l’Arménie.
Ce qui nous interpelle tout de suite, c’est l’omniprésence dans le paysage de la figure de l’ancien président du pays, Aliyev père. Depuis 2003, c’est son fils, Aliyev junior, qui préside cette « république ». Ici, l’opposition n’existe pas ou est violemment réprimée. Il faut bien en convenir, nous sommes dans une dictature!
Abstraction faite de la situation politique, nous cherchons vainement des sites historiques ou dignes d’intérêts sur le trajet. Peine perdus, nous ne voyons que des villes modernes sans âmes et les quelques vestiges anciens sont massacrés par des restaurations de mauvais goût. Enfin, si l’été offre sans doute des paysages sublimes et de belles randonnées à faire au pied du Caucase, il n’y a rien d’intéressant à voir à cette période de l’année. Il faut également avouer qu’après un séjour extraordinaire en Géorgie et en Arménie, la comparaison est rude.
bakouÀ défaut de sites remarquables, le temps est plus que clément et nous profitons d’un bivouac dans un champ pour travailler sur la voiture. Malheureusement notre campement est proche d’un pipeline, et nous avons de fréquentes visites de la police. Notamment avec un policier soupçonneux qui demande méchamment nos passeports et prend de nombreuses photos de l’Isbamobile comme pièce à conviction. Il s’en va sans rien dire, déçu sans doute de ne pas être tombé sur l’affaire du siècle. Ne vous méprenez pas, les azéris sont plutôt sympathiques, mais les policiers sont très suspicieux et observent strictement les nombreux interdits.

Nous prenons vite la direction de Bakou car nous savons d’avance que la régularité des bateaux à destination d’Aqtau au Kazakhstan est plus qu’aléatoire. L’arrivée dans la capitale est assez terrible, bouchons et bâtiments ultras modernes avec jeux de lumières exaltants les ressources en gaz et le drapeau national. Le premier sentiment n’est pas en faveur de cette ville, renforcé par nos primes impressions du pays. Quant au bateau il est venu, puis reparti sans nous ! Nous n’avons pu obtenir à temps le papier pour faire sortir la voiture du pays. Sachant que le ferry ne reviendra pas tout de suite, nous décidons de nous détendre au bord de la mer Caspienne. Bakou se situe en effet sur une vaste péninsule que nous nous promettons d’aller explorer.

Nous arrivons de nuit non loin de la mer et nous établissons notre campement dans un champ à l’écart de la route. Au matin, quelqu’un toque à la voiture. Nous ouvrons une fenêtre. Tiens ? Nous sommes sur un champ de pétrole et je crois que nous avons de nombreux nouveaux amis. C’est étrange pourquoi tous nos petits camarades sont-ils en uniformes ? Cette sympathique rencontre dure tout de même la bagatelle de deux ou trois heures. Passeports, voiture, appareils photos, ils vérifient tout. S’étant assurés que nous étions de simples touristes, ils nous demandent : « Et sinon l’Azerbaïdjan, çà vous plaît ? ». Les militaires azéris sont visiblement de grands caustiques. Enfin voici une formule inédite pour faire des rencontres en Azerbaïdjan, dormez sur un champ de pétrole !

Autant dire que cet accueil ne nous incite pas à trainer plus longtemps sur la péninsule. Direction Bakou pour attendre encore et toujours le ferry. Nous revoyons tout de même notre jugement sur cette cité en nous promenant dans la vieille ville qui ne manque pas de charme.

Et puis un beau jour, le bateau est prêt à partir de Bakou, chargés de nombreux camions. Les cabines sont sales, délabrées et les sanitaires franchement pourris. Moyennant 700 dollars pour vingt heures de traversée, cela fait cher la croisière de luxe ! En outre avis aux femmes seules ou même accompagnées, vous risquez de recevoir beaucoup de propositions plus ou moins sexuelles des autres passagers.

Arrivés au port d’Aqtau, les formalités administratives sont très longues. Les routiers sont habitués, ils sortent tout de suite le bakchich pour tenter d’accélérer un peu les choses. Les douaniers essaient bien de nous soutirer de l’argent  mais se heurtent à un mur. Le bras de fer dure longtemps et au bout de neuf heures, nous quittons enfin la zone portuaire.

C’est le moment de partir à l’assaut de la steppe Kazakh. La route qui doit nous mener jusqu’à la ville de Beyneu est cauchemardesque. Les bords de route sont jonchés de morceaux de métal et de pneus crevés.

Les cahots nous brisent le dos. Aussi, malgré le récent dégel, nous empruntons le chemin qui longe la voie principale. Cette piste se compose de glace, de boue et de neige et est creusée de profondes ornières. Les conditions se dégradent de plus en plus et les dérapages de l’Isbamobile sont de moins en moins contrôlés. Une belle glissade dans la boue nous fait partir en tête à queue. En deux secondes tout bascule ! La voiture accroche de l’arrière et se retourne soudain sur le flanc droit : « Haaaa! »

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horizonPas d’inquiétude, nous sommes tous les deux indemnes. Cette situation inspire à Marc une belle pensée : « Le voyage commence lorsque l’on est prêt à remettre en cause toutes nos certitudes, y compris admettre la verticalité subite de l’horizon. »

Heureusement la route est proche et un camion nous remet sur nos quatre roues. Un peu anxieux, nous faisons le premier bilan des dégâts sur l’Isbamobile. Les organes vitaux ne sont pas touchés. La carrosserie est enfoncée, une roue a déjanté, le pare-brise est lardé de fissures et la baie de pare-brise s’est dessoudée.

Malgré cette petite frayeur, le voyage peut continuer en direction d’ l’Ouzbékistan. Pour notre première étape dans le pays, nous comptons passer deux ou trois jours au Sud Est de la Mer d’Aral. Nous longeons le plateau qui domine ce qui fut une mer et n’est plus qu’un grand désert battu par les vents. Quelques passes permettent de descendre dans le lit de cette vaste étendue d’eau absente. Quelques coquillages jonchent encore le sol, ainsi que desancres et de vieux filets de pêche.

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Sinon, rien à l’horizon. Pas de villages, pas d’humain, pas d’eau, pas de vie, rien  juste un grand désastre écologique qui a ruiné toute une région. Ce lieu est à la fois, beau, impressionnant et à la fois incompréhensible. Nous tentons bien de gagner ce qu’il reste de cette mer mais la voiture s’enfonce dans une sorte de boue collante. Nous trouvons plus prudent de faire demi-tour. Il est déjà trop tard. Alors que nous avons entamé notre demi-tour, l’Isbamobile reste coincée.

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Bilan 24 heures de galères inimaginables pour nous sortir de là. Mais ce n’est qu’un début ! Après quelques centaines de mètres, nous nous retrouvons dans un champ fait, comment dire, de trous ? Boue sur le dessus et trous en dessous, nous sommes encore coincés. Le désespoir nous gagne : « Çà n’en finira donc jamais! ». Six heures d’efforts et nous quittons bien vite ce véritable enfer sur terre ! Nous nous souviendrons longtemps de cette incursion sur la Mer d’Aral !

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Nous retrouvons la civilisation et nos premiers touristes depuis bien longtemps à Khiva. Cette ville est  une merveille que l’on s’approprie très facilement. Nous y arrivons pour la journée de la femme, jour férié en Ouzbékistan. Pour l’occasion, nous sommes conviés à venir déguster le plat national Ouzbeks, le Palov, sorte de riz pilaf agrémenté de mouton. Malgré le thème de la fête, les hommes te les femmes mangent séparément.
boukhara%201Khiva est très touristique, et pourtant ses habitants sont d’une gentillesse et d’une hospitalité incroyable. Nous visitons ainsi toutes les maisons du quartier pour partager le repas avec les hommes. Les femmes se cachent dans la cuisine et il est bien difficile de seulement pouvoir les apercevoir. Nous arpentons la vieille cité de long en large et connaissons bientôt la plupart des habitants. Des sourires bienveillants et lumineux nous suivent et l’on se sent tellement bien ici que nous nous éternisons un peu avant de rallier Boukhara.
Pour rejoindre cette ville de la route de la soie, il faut traverser un désert battu par les vents. De quoi imaginer la vie des caravaniers et les efforts déployés pour commercer dans cet environnement sec et hostile. Enfin le mirage de Boukhara  se dessine. Il y a de plus en plus de touristes et les vendeurs de souvenirs sont plus agressifs. Les jeunes vendeuses sont impressionnantes !
Elles font l’article en français, en anglais, en russe, en espagnol, en coréen…etc. ! Elles sont combatives, pleines de vie et tellement attachantes. Sans elles il faut bien l’avouer, Boukhara ressemblerait à une ville musée un peu vide à cette époque de l’année. Décidément nos rencontres influent sur la vision que nous avons d’un lieu. Aimer un pays c’est à la fois apprécier les paysages et les villes mais sans le lien humain, c’est assez vide de sens. L’Ouzbékistan pour cela est un régal, toutes les aspirations sont satisfaites, beauté des lieux, histoire, gentillesse de ses habitants.

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tombeau%20samarkandNous arrivons sous la pluie à Samarkand. Ville mythique par excellence elle déçoit pourtant un peu. Les vestiges sont impressionnants mais cachés au milieu de grandes avenues et de bâtiments de type soviétique. Par ailleurs la cité est très étendue et les gens qui y vivent sont peut-être plus indifférents à ces hordes de touristes qui débarquent.

Nous aurions envie de partir d’ici rapidement et pourtant. Nous croisons Sanjar, étudiant en langue française qui traîne du côté du Registan afin d’y rencontrer des touristes francophone. De quoi lui permettre de pratiquer et d’améliorer sa connaissance de la langue de Molière. Il nous fait visiter les monuments de la ville mais nous emmène surtout participer à un spectacle incroyable, le Buzkashi.

C’est à Urgut, petit village dans les montagnes dont Sanjar est originaire que nous nous rendons. Ici sont rassemblés environ quatre cents cavaliers et des milliers de spectateurs pour assister à un très important Buzkashi. Ce jeu est assez proche du horse ball, à ceci près que la balle est une carcasse de chèvre décapitée. Le spectacle est d’une violence ouïe et rapidement les chevaux et les hommes sont en sang. Les coups de fouets claquent, les chevaux sont en sueurs et les cavaliers ont des mines tour à tour farouches ou étonnement souriantes. Le public, composé d’hommes, crie, hue et encourage de la voix. Nous ne passons pas inaperçu dans cette foule et les questions fusent ! Autour de la voiture c’est l’émeute et chacun veut se faire photographier. Il est très difficile de s’extraire de cet endroit et de la multitude qui nous entoure.

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Notre visa Ouzbèk d’un mois touche à sa fin et nous devons rejoindre le Kirghizistan. Nous quittons à regret le pays, tant l’Ouzbékistan et ses habitants sont pour nous un véritable coup de cœur.