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Mongolie, le mot de la fin

Nous entrons en Mongolie par la frontière nord. Nous avons rendez-vous sur le lac Khövsgöl pour y retrouver notre ami musher Joël. Il organise des circuits en chiens de traineaux dans le pays.

La route est presque asphaltée jusqu’à notre point de rendez-vous situé au sud du lac. À peine posons-nous une roue sur les quelques kilomètres de piste qu’un bruit sourd retentit. Les lames maîtresses et sous maîtresses avant gauche, tordues lors de notre traversée du lac Baïkal, viennent de se briser. C’est la quatrième fois en six mois que cela nous arrive. La voiture penche du côté gauche, mais elle tient encore le coup. Nous devons rouler très doucement afin de ne pas aggraver la situation. Nous avançons légèrement en crabe à cause des amortisseurs arrachés en Sibérie, mais nous roulons.

Hatgal, notre point de rendez-vous, est en vue. La fatigue s’accumule depuis les dernières semaines et ce sont deux zombies que Joël retrouve pour une semaine sportive. Comme nous ne faisons jamais les choses à moitié, c’est donc par six jours de traversée d’un lac gelé que je fais mes premiers pas en chien de traineau.

Le départ approche, les chiens sont surexcités, de vrais condensés d’énergie. Joël, nous explique quelques règles de base : se suivre les uns derrière les autres, comment utiliser les freins, comment franchir les zones de compression sur la glace. Le départ est annoncé, les chiens sautent, jappent et tirent tout ce qu’ils peuvent sur leurs harnais, impatients de s’élancer. À peine l’ancre qui les retient levée, qu’ils partent en courant comme des flèches. La glace est particulièrement glissante ce premier jour, et nous dérapons un moment avant de comprendre comment placer notre corps, nos jambes et contrebalancer le poids du traineau. Nous effectuons quelque quarante kilomètres par jour, de 12 à 14 km/h en moyenne, glissant sur le lac pendant que les oreilles de ces braves toutous tressautent joyeusement devant nous. Le chien de tête, véritable guide de l’attelage, reste à l’écoute des ordres du musher. Finalement, même sans expérience, le plaisir prend vite le dessus.

Les jours s’écoulent apportant leur lot de bonheur. Une sensation qui oscille entre la joie pure, l’impression d’espace et de liberté, et la conscience aiguë de vivre un moment privilégié. Le doux bruit du traineau qui glisse sur la glace, le halètement des chiens. Au loin passe une charrette tirée par deux yaks. À midi, c’est l’heure du barbecue sur la glace, composé de grillades de viande ou de poisson. Du matin jusqu’au soir, nous arborons tous un sourire idiot. Joël et Bayna, sa compagne, observent les chiens, leurs attitudes, et les photographient inlassablement. Ils se réjouissent de nos têtes de benêts, de pouvoir nous faire ressentir ce plaisir qui les anime. Je fantasme au sujet de voyages en yak, en chiens de traineaux, infidèle en pensée à l’Isbamobile. Le temps d’un rêve, notre traversée s’achève, déjà, trop vite.

Nous prenons la direction d’Oulan-Bator où beaucoup de travail nous attend. Préparer notre retour pour la France, c’est un peu comme préparer un nouveau départ. Il nécessite a minima des visas russes et de réparer la voiture. Notre couple d’amis Chinzo et Zaya met à notre disposition une yourte en fibre de verre, située dans leur jardin, à Gachuurt, non loin de la capitale. Pour ma part, il s’agit de travailler au maximum sur l’écriture du livre qui viendra couronner ces deux ans de voyage. Une fois en France, nous serons pris par le temps, il vaut mieux commencer ici. De discussion en discussion, une idée un peu folle fait son chemin. Nous serons de retour pour la Foire du tout-terrain à Valloire, point de départ et d’arrivée de ce périple. Et si nous parvenions à rédiger et imprimer notre ouvrage dans un délai de cinq mois, afin de pouvoir le proposer dès notre arrivée dans l’hexagone ? Une aventure un peu dingue, tout comme ce voyage, dans laquelle nous nous lançons avec acharnement. Dans ma yourte, je me transforme en écrivain en tirant la langue sur mon manuscrit.

Le livre n’est encore écrit qu’au trois quarts, quand notre ami Gilles nous rejoint de Paris pour trois semaines en Mongolie. J’en suis la première ravie, car il me procure une coupure dans les journées interminables de travail qui s’enchaînent. Je me jure bien que ce livre achevé, je n’écrirais pas un texte de sitôt. Marc négocie de son côté la remise en état de l’Isbamobile en version minimum syndical.

Nous testons les réparations en emmenant Gilles faire un tour dans la steppe. Le pauvre, pas si facile de partir avec deux doux dingues qui vivent depuis deux ans sur la route. Après dix jours de fous rires et de balades, nous lui réservons une expérience inoubliable dont il se serait bien passé. Nous nous égarons une fois de plus en suivant bêtement les vieilles cartes russes de notre GPS. Nous voilà bloqués par les bras tentaculaires d’une rivière. Nous tentons de franchir cette zone au cap, une décision qui nous a rarement portée chance. Marc dit à voix haute « Ça pue dans ce coin », je lui réponds : « C’est couru d’avance. » Gilles n’a pas le temps de crier : « Non ! », que nous nous élançons à fond dans un grand trou de tourbe. Inévitablement, nous nous retrouvons coincés et notre compagnon d’infortune râle gentiment : « Non, mais sérieusement, vous l’avez fait exprès ? Moi, je n’y serais jamais allé. » Nous pataugeons joyeusement jusqu’à mi-cuisse dans un environnement constitué d’eau, de boue, de moustiques et de têtards. En vain, nous tentons d’utiliser le cric et les plaques de désensablage. Nous sommes ici pour un petit moment. Les nomades de la yourte d’à côté viennent nous prêter main-forte.

Il n’y a bien sûr rien pour attacher le treuil dans la steppe. Les Mongoles nous indiquent quelques troncs d’arbres coupés pour tenter d’en faire des bras de levier. La voiture est lourde, les arbres aussi et le sol est instable. Nous essayons comme nous pouvons de soulever l’Isbamobile. Une idée d’un optimisme comique qui fait littéralement flop. De guerre lasse, nous passons à la seconde option, c’est-à-dire créée des points d’ancrage en coupant notre gros bout de bois en rondins avant de les planter dans le sol. Les tentatives infructueuses s’enchaînent, la nuit finit par tomber. Nous sommes toujours bloqués et nous creusons de plus en plus profondément pour enfoncer nos piquets. A la frontale, nous continuons le travail jusqu’à ce que l’Isbamobile sorte enfin de cette mauvaise passe. Six heures de temps pour nous en échapper, autant dire que la fatigue se fait sentir en même temps que le soulagement. Nos nouveaux amis mongols sont restés nous aider jusqu’au bout, à la grande surprise de Gilles. Il découvre ainsi ce jour le sens du mot « entraide ». C’est aussi sans doute pour cela qu’il garde le sourire, car pour sa première expérience de plantage, il faut avouer que nous avons fait fort. Dès le lendemain, nous continuons d’ailleurs sur notre lancée en pelletant joyeusement une heure ou deux pour nous sortir d’une ornière boueuse. Gilles remonte dans la voiture, un peu fatigué et couvert de terre. Le sourire est moins franc que la veille, mais toujours présent. Nous avons définitivement fait le bon choix en l’emmenant avec nous, il n’est vraiment pas rancunier. À peine l’avons-nous déposé dans son avion retour que nous nous remettons au travail, plus que quelques jours avant le grand trajet de retour.

Après presque deux ans de voyage et de péripéties, il est temps de penser à rentrer en France. Nous repartons de Mongolie le cœur un peu gros. Un dernier au revoir à nos amis mongols et nous empruntons des pistes cassantes pour sortir du pays.

Au bout de trois semaines, après la traversée de la Russie, de l’Ukraine et de l’Europe, la patrie est en vue. Un sentiment étrange nous habite. Revenir ici signifie la fin de notre voyage, mais nous sommes néanmoins heureux de revoir nos amis et notre famille. Par ailleurs, nous attendons avec impatience la livraison des deux palettes de notre nouveau livre. Lorsque nous arrivons sur le salon de Valloire, nous sommes au bord de l’épuisement. En France depuis peu de jours, nous sommes dans un état second. Nous sommes vite pris d’assaut par les lecteurs qui nous ont suivis dans le magasine Action 4×4 ou sur notre site internet. C’est sans doute à ce moment-là que je réalise avec étonnement le nombre de personnes qui ont vécu cette aventure à nos côtés pendant ces deux ans. Malgré quelques moments de désespoir avec nos pelles à la main, nous n’étions donc pas seuls ? La prochaine fois, puisque tout le monde veut nous voir repartir à nouveau, soyez sympa, venez nous donner un coup de main.

Plus d’information sur des circuits touristiques en Mongolie et plus particulièrement sur ceux réalisés en chien de traineau :

www.windofmongolia.com