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12/13 – Tynda, région de l’Amour, Russie, huit mois et demi de voyage, -42 °C la nuit

Tynda, région de l’Amour, Russie, huit mois et demi de voyage, -42 °C la nuit

Ce n’est pas du Chocolat !

Voilà comment Éric, un camarade de comptoir camerounais, avait défini le projet lorsqu’à Ulan Bator, je lui annonçais le but de mon voyage et les perspectives à venir. Après réflexion, je pense que cette phrase est la synthèse même de ce qui se passe en ce moment. Le référentiel n’est tout simplement pas celui auquel je suis habitué. Et ce n’est que le début.

Pourtant dans le même temps, il est impossible d’exprimer la diversité de tout ce qui vient de se passer sur les deux derniers mois. C’est un vrai feu d’artifice d’émotions. Cela part dans tous les sens si bien que j’ai l’impression de toucher du doigt la définition du mot Vie avec ses joies immenses, ses angoisses, ses surprises, ses combats quotidiens, ses récompenses et ses espoirs. La drogue du voyage me fait un shoot comme ceux auxquels les junkies doivent rêver toute leur vie, juste avant l’overdose. Il est vrai qu’après quatre mois d’attente et de préparatifs, reprendre la route libère le trop-plein de rêves. Les vannes sont grandes ouvertes, rien n’est gelé de ce côté-là.

Je viens donc de passer six semaines en Mongolie pour m’appliquer dans le froid à installer les cent vingt kilos de matériels ramenés de Chine. J’ai d’abord passé les cinq premiers jours en guest house et les cinq premières nuits à faire la fête pour honorer la nouvelle année. Il me faudra trois jours complets pour me remettre de cet excès de sociabilité. Trois jours à partir desquelles, Christophe me proposera un coin de son salon pour poser les mousses de l’auto pour dormir au chaud. Dans le même temps, j’ai pu trouver grâce à Chinzo, un garage chauffé pour n’avoir à supporter que des températures raisonnables ; soit de moins dix à moins quinze le matin pour finir vers moins cinq en fin de journée…dans le garage. L’auto est rentrée dans l’atelier avec le toit couvert de neige. Elle en est sortie avec la même quantité, trois semaines plus tard. J’aurai pour ma part la chance d’en ressortir avec une belle bronchite. Et c’est avec 39,5 °C que j’achevais de charger l’auto pour le grand départ. Mon visa n’étant pas extensible à l’infini, il me fallait partir.

Je passe sur l’épisode du faux départ la veille où dix mètres après la sortie du garage, les brides de suspension ont cassé net. Par sécurité, j’ai fait refaire deux brides issues de camions pour éviter ma déconvenue du Gobi. Étant malade, c’est la seule chose que j’ai demandé de réaliser aux mécaniciens du garage qui par peur de problème futur ont trop serré les nouvelles brides. Le froid a probablement joué dans cette mésaventure, mais il a fallu une nouvelle demi-journée de travail pour tout remettre dans l’ordre. Je suis bien heureux que cela soit arrivé presque à l’arrêt.

C’est à 13 heures que je quittais Ulan Bator le dernier jour de validité de mon visa. La frontière fermait à 18 heures, j’y suis arrivé à 17 h 45. C’était limite.

Curieusement, la douane mongole ne m’a fait aucun problème alors que la voiture était dans le pays depuis plus de six mois. Et la Russie m’a accueilli avec sympathie alors qu’à ma sortie, j’avais passé l’après-midi en saisie douanière. Vers dix heures du soir, tout était bouclé. J’ai ainsi pu refaire mon premier bivouac dans la voiture depuis quatre mois. J’ai pour cela choisi le haut d’une colline enneigée pour m’offrir un beau panorama au réveil. La vue fut d’autant plus belle qu’il a neigé pendant la nuit. Malgré – 25 °C, la voiture a démarré sans problème. De mon côté, la nuit fut agréable, car l’Eberpächer, mon chauffage autonome, tourne désormais toute la nuit.

Le crissement des pneus sur la neige fraîche m’a donc guidé sur la route qui serpente jusque Ulan Ude, la capitale de la république autonome de Bouriatie. Ici, comme ailleurs, l’hiver est particulièrement doux cette année. La journée, les températures tournent autour de moins quinze tandis que la nuit, il fait moins vingt-cinq. Une bonne occasion pour mettre au point tous mes systèmes contre le froid sans risquer la panne sèche à cause de gasoil gelé. Au bout de quelques jours, j’aurai quand même à souffrir de problème, car en ville le moteur ne tourne pas suffisamment pour recharger les batteries. Je passerais donc ma dernière nuit par moins vingt-cinq dans la voiture. Heureusement, j’ai des duvets « Lestraordinaire ».

Si je suis resté quelques jours à Ulan Ude, c’était pour refaire un visa mongol qui me permettrait de revenir en Mongolie pour redemander un visa russe et probablement réaliser un reportage sur Joël, un Français qui propose de vraies balades de plusieurs jours en chiens de traîneau. Mon visa d’affaires se termine bientôt si bien que je n’ai que sept semaines pour faire mon aller-retour jusque Magadan. Le temps est compté, car les distances sont à la fois énormes et les conditions de route « extrêmement hivernales ».

Enfin à Ulan Ude, j’ai rejoint Anya, une Bouriate rencontrée à la guest house d’Ulan Bator. Elle m’a ainsi présenté à toutes ses copines et c’est ensemble que nous avons pu passer quelques belles soirées. Julia ayant eut pour sa part la dure tache de m’aider dans mes formalités d’enregistrement et d’obtention de carte Sim. Nous avons ainsi passé une pleine journée pour obtenir un coup de tampon sur mon passeport et un numéro de téléphone qui me permettrait d’être joint par mes nouveaux amis russes. Dans la rue, je suis regardé comme une curiosité extraordinaire et il arrive que l’on me demande des autographes et l’on n’arrête pas de me prendre en photos. Je joue le jeu, mais c’est assez étrange. Où est l’exploit ?

J’ai ensuite repris la route pour Chita. Six cent soixante-cinq kilomètres de routes enneigées au travers des forêts de sapins. Avec pour principal risque celui de percuter de face un transitaire qui achemine les voitures japonaises depuis Vladivostok vers la Russie occidentale. Comme le trafic est à peu près cent fois plus important dans leur sens ; entre 50 et 100 voitures à l’heure contre tout juste une dans mon sens, la route est en bien meilleur état de mon côté. Si bien que nombre d’entre eux préfèrent rouler à contresens. Comme leur objectif est d’effectuer le plus grand nombre de kilomètres en le moins de temps possible, leur niveau de fatigue est suffisant pour oublier de réagir quand un engin peu ordinaire arrive en face. Cela est arrivé plusieurs fois, mais heureusement j’étais sur mes gardes. L’autre risque est lié au fait qu’ils se déplacent toujours en groupe de cinq ou sept voitures pour éviter les attaques ou les problèmes mécaniques. Il y en a toujours un qui roule décalé pour éviter la neige soulevée par celui qui le précède. Il est alors à contresens et noyé dans un nuage de neige poudreuse. Là aussi, il faut faire très attention. Enfin, la route elle-même présente assez de dangers pour que l’aventure se termine plus vite que prévu. J’en ai d’ailleurs fait les frais sur le tronçon suivant entre Chita et Tynda. Si vous regardez sur une carte, il n’y a pas de route qui relie ces deux villes. 1000 kilomètres de pistes très enneigées, mais assez larges pour que tout se passe bien. Le problème concerne les quelques zones de travaux où il faut alors sortir de la route pour emprunter une piste très étroite et très verglacée. Les transitaires véhiculent des autos japonaises qui sont des véhicules ordinaires. Si bien que sur la moindre pente, leurs pneus hiver patinent et forment une couche de glace polie extrêmement glissante. Et tout ce qui est en montée pour eux est une descente pour moi et c’est ainsi qu’à quatre reprises, j’ai perdu le contrôle de l’auto sur ce genre de goulet qui n’a rien à envier aux pistes de bobsleigh. Par deux fois, j’ai fait un tête-à-queue, la troisième s’est bien passée, car il n’y avait qu’une descente en ligne, mais la quatrième s’est terminée dans le décor. Je suis assez satisfait de ma séquence de rattrapage qui a permis de limiter les dégâts et fut très déçue de l’attitude des transitaires dont pas un seul ne s’est arrêté pour voir s’il y avait un problème. Les trois seuls véhicules qui se sont arrêtés étaient des locaux très sympas. Bilan : un pneu crevé, la galerie cassée et plus grave, les quatre vis du silent bloc qui tenaient le moteur ont cédé sous le choc. Le moteur n’est donc tenu que d’un seul côté comme cela était arrivé dans le désert du Gobi. Ce n’est qu’après une nuit de réflexion que j’ai trouvé comment continuer jusque Tynda. Le moteur est maintenant posé sur la chaîne qui sert à fixer les deux portes entre elles. Mais le risque de percer le carter d’huile est très important et entamer une vraie réparation impose de sortir le moteur de la caisse et de souder le châssis. Pour cela, il faut du matériel lourd et surtout un temps incroyable. Je ne sais donc que faire pour réparer, mais même si les marges se rétrécissent, je vais continuer.

J’ai finalement réussi à rejoindre Tynda où l’accueil fut simplement magique. Après deux minutes en ville, une voiture s’est arrêtée. Trois personnes en sont descendues et ont commencé à photographier l’Isbamobile. Je les ai invités à se photographier dans l’auto comme je le fais souvent maintenant et tous trois m’ont montré le chemin d’un hôtel. J‘ai trop de textes à écrire pour faire ça depuis la voiture et même si l’Isbamobile est confortable, voici une semaine que je me lave avec des lingettes. Il est temps de prendre une douche.

Une fois propres, mes trois camarades sont revenus me chercher pour m’inviter à déjeuner. C’est ainsi que de fil en aiguille, nous avons passé la soirée ensemble avec une multitude de jeunes de Tynda, tous plus sympathiques les uns que les autres. La soirée fut vraiment géniale et finit dans la seule boîte de Tynda dénommée Diesel. Décidément, ce nom ne me quitte plus.

Le lendemain, la bande m’a invité pour un barbecue dans la forêt. Eh oui, par moins vingt-cinq en extérieur, nous avons passé l’après-midi à faire griller nos brochettes, faire de la luge sur les tapis des voitures et bien sûr, trinqués mille fois à l’amitié franco-russe. Pour dégeler nos bières, il fallait les mettre régulièrement dans le feu. Au moins, la vodka, ça ne gèle pas. L’expérience fut fantastique, car même s’il faisait froid, une fois bien habillé, tout est très supportable. Ainsi va la vie dans une région où l’hiver sévit neuf mois dans l’année.

Un peu plus tard, j’ai rencontré Maxime, le boss du Kamaz Center de Tynda, venu me dépanner, car j’ai acheté sans le savoir du gasoil d’été qui gèle à moins quinze en me ravitaillant dans un petit village. Désormais, il ne faudra faire le plein que dans les grandes stations des grandes villes.

Bref, j’ai été pris en remorque dans Tynda derrière une Jeep UAZ sous les regards éberlués des passants et amusé de l’équipe de Kamaz. Ayant compris que la voiture avait des problèmes autres que le gasoil, Maxime a appelé un de ces mécanos : Igor ; un Ukrainien très sympa avec qui nous avons passé les trois jours fériés suivants sous la voiture pour revoir les différents points qui n’allaient pas sur l’auto. Depuis quatre mois, la voiture n’avait pas rencontré de températures positives si bien que toute la glace qu’elle contenait a fondu pendant ces trois jours au chaud. Il y en avait tellement que j’ai créé une vraie piscine.

Apprenant que je dormais à l’hôtel, Igor m’a immédiatement invité chez lui. Ainsi vont l’hospitalité et la sympathie russe qui ressemble de beaucoup à celle d’Iran. Décidément, là où les touristes ne vont pas, il y a de la place pour de vrai rapports humains. Même la police qui était si pénible vers Novossibirsk est maintenant amicale.

Une fois réparé et prêt pour le grand froid, j’ai pris la route pour les mille kilomètres entre Tynda et Yakutsk. Déjà à Tynda, les températures nocturnes étaient de moins quarante-deux. Mes thermomètres ont déclaré forfait pour mesurer de telles températures, car ils s’arrêtent à moins trente. Mais sur la suite, je m’attends à des températures basses de plus en plus souvent.

La piste est large, bien indiquée, enneigée, mais de bonne qualité. Ce n’est que lors de mes sorties de nuit que j’ai connu quelques déconvenues. Pour dormir et afin de me mettre en sécurité, je quitte la piste principale d’environ un kilomètre. Un kilomètre où je m’enfonce dans la première piste forestière venue.

Mille petits mètres où toutes les déconvenues sont possibles, car c’est un bon prétexte pour faire du vrai tout-terrain. Sans les chaînes, la voiture passe jusque soixante centimètres de neige, parfois quatre-vingts centimètres si elle n’est pas croûtée. Mais il arrive bien souvent que j’aie à passer plus profond. Je m’y plante et il me faut l’usage de la pelle ou du treuil pour m’en sortir. Les heures passent alors à une vitesse incroyable et je suis bien heureux d’être seul pour avoir à n’imposer cela à personne. C’est donc souvent planté que je m’endors. Maintenant, je fais tourner le moteur, une à deux fois par nuit tandis que j’essaie de faire tourner au maximum les chauffages autonomes ; la seule chose qui m’inquiète la nuit, outre que le moteur ne refroidisse trop, c’est de me tromper de bouteille. L’une est contre moi pour rester liquide tandis que l’autre sert de bouillotte une fois qu’elle a rempli son rôle de sanisette. Pas question d’aller gambader la nuit par moins quarante pour assouvir un besoin naturel.

À ce rythme, je subis environ un plantage et une erreur de conduite par jour, souvent sous forme de tête-à-queue ou de sortie de route sans importance. Il faut dire que je dois être le seul de cette partie de la Russie à ne pas avoir de pneus hiver et parce que j’ai un bruit sur le pont avant, je n’utilise le 4X4 que dans les descentes. Le reste du temps, je suis en deux roues motrices et diriger les trois tonnes de l’Isbamobile dans ces conditions ressemble souvent à Holidays on Ice.

Donc, de plantage en plantage, de sorties de route en sorties de route, je suis arrivée vendredi vers midi à quinze kilomètres de Yakutsk. Je me suis posé pour déjeuner et finir les textes prévus pour les rédactions. Avec le décalage horaire de huit heures, je devrais pouvoir envoyer les textes pour que les rédactions les aient dans la matinée.

Ma soirée de pleine lune : « étoile des neiges, pays merveilleux… »

Vers dix-huit heures, les textes sont finis, je reprends donc la route pour Yakutsk. Le problème, la traversée de la Léna, large de dix-huit kilomètres à cet endroit, s’effectue par un bac en été. L’hiver, c’est une route tracée sur la glace qui remplit ce rôle. Mais elle n’est pas indiquée. Je me suis donc retrouvé trop au Nord et dès le premier village, j’ai cherché une piste qui prenait le cap de la ville pensant que chaque village devait faire sa trace en direction de la grande ville comme je l’avais déjà observé ailleurs. Au GPS, je suis alors à seize kilomètres du centre-ville.

Il fait moins trente-cinq si bien que j’ai confiance dans la qualité de la glace.

Je m’engage donc sur la première piste qui a le bon cap, car généralement sur la glace, il y a peu de détours. Au bout de six kilomètres sur une neige épaisse, je pose une roue dans un trou de glace. Captage d’eau pour les animaux ou trou de pêche, je n’en sais rien, mais je réalise d’un coup que je suis sur la glace, la vraie.

Je me sors de là et continue jusqu’à ce que la neige empêche toute progression, l’auto est plus lourde que le seul engin qui est passé auparavant. Impossible de m’en sortir sans les chaînes. Je commence donc le montage. Il fait moins quarante et la pleine lune apporte une lumière suffisante pour ne pas avoir à utiliser de lampe. Il faut d’abord, à la pelle, dégager chaque roue. Le moteur tourne alors en permanence.

Si j’ai besoin absolument d’aller à Yakutsk ce soir, c’est parce que les réservoirs sont vides et je sais pertinemment qu’en si petite quantité, le gasoil ne tiendra pas le froid. L’inertie est trop faible. Alors que j’entame la troisième chaîne, le moteur s’arrête. La situation est critique, car je sais que les Eberspächer ne démarrent plus en dessous de –25 °C. Et sans moteur, j’ai absolument besoin d’eux pour passer la nuit. Je me précipite pour poser la couverture de protection du moteur et remplis le réservoir arrière de vingt litres d’essence. Je bascule le circuit principal sur l’arrière et tente d’abord le démarrage des Eberspächer et ensuite celui du moteur. Celui de l’intérieur démarre, mais rien pour celui du moteur. De plus, les deux filtres à gasoil sont bouchés par la paraffine qui doucement s’est immiscée dans les pores de filtrage au fur et à mesure que le gasoil s’est refroidi. Cette situation étant prévisible, je lance donc les réchauffeurs en route. Deux colliers circulaires Bricomax95 autour des filtres et un réchauffeur Stanadyne de camion pour l’arrivée de gasoil. La paraffine fond à 80 °C, il faut donc atteindre cette température pour libérer les filtres.

Si je peux passer la nuit à moins quarante dans mes duvets, les batteries ont besoin de chaleur pour assumer toutes leurs fonctions de chauffe et finalement le démarrage.

Alors que j’entame avec difficulté à cause du froid, le montage de la quatrième chaîne, l’alarme d’un des thermostats retentit. Le carburant est à 120 °C. La coupure du Stanadyne n’a pas fonctionné. Je tente alors une purge moteur mais l’essence contenue dans le gasoil est en ébullition. La pression m’envoie une giclée de carburant dans l’œil droit. La brûlure est immédiate et j’essaie de me rincer à l’eau, mais celle-ci gèle en moins de temps qu’il ne faut pour l’écrire. Au bout de quelques minutes de larmes, le mal passe doucement. J’arrive à redémarrer le moteur, mais la purge est incomplète et celui-ci s’arrête toutes les cinq minutes. J’arrive quand même à sortir l’auto de sa gangue de neige et je continue mon avancée avec peine sur cette piste qui, je le comprends petit à petit, ne mènera nulle part. Un kilomètre plus tard, j’aboutis sur un tas de foin. Les traces sont maintenant claires, depuis neuf kilomètres dans la neige profonde, je suis les traces d’une chenillette.

Au gré des désamorçages du circuit, je fais demi-tour. Le moteur s’arrête de nouveau, il est trois heures du matin. Je suis à bout et surtout mes doigts en se réchauffant me font horriblement souffrir. Petit à petit, ils gonflent les uns après les autres. Sous la pression, les ongles se détachent sur un quart de leur surface. Je n’ai rien vu venir, mais les gants que j’ai utilisés pour monter les chaînes étaient trop légers. Les premières gelures de ma vie. Je décide donc de dormir coûte que coûte et de reprendre la lutte le lendemain dès que possible.

Moteur et Hydronic sont out, mais l’Airtonic fonctionne toute la nuit à plein régime pour ne pas risquer qu’il se mette sur pause et ne démarre plus de nouveau. Paradoxalement, il fera trente degrés dans la voiture.

Au matin, il fait moins trente-cinq. Après plusieurs essais, je fais un feu sous le réservoir d’origine et allume les chauffes électriques. Tout est chaud, prêt à démarrer, mais les batteries sont à plat, vidées par les résistances. Il ne me reste plus qu’à marcher pour trouver le propriétaire de la chenillette. Une fois que tout rangé et que je me suis rempli un sac de nourriture et d’eau empaquetés dans une couverture. Je me pose cinq minutes au volant pour me réchauffer un peu avant de partir pour dix kilomètres de marche dans la neige profonde. C’est alors que je remarque que les voltmètres sont remontés un peu. Je tente alors un dernier coup de clef sans trop y croire. Et là miracle ! Le démarreur entame un tour puis deux, puis trois et le moteur rugi doucement. Je comprends subitement que certains puissent croire en Dieu. Alors que le moteur tourne, je peaufine la purge sur les filtres et continue de revenir sur mes traces. De jour, je me rends compte de l’excès d’optimisme qui m’a fait arriver jusque-là. Les ornières créées la veille sont vraiment profondes.

Je déchaîne et demande dix fois la route pour la traversée officielle. Alors que je suis à cent mètres de la berge, à trente à l’heure, la fatigue ne me permet pas de rattraper un début de tête-à-queue et je finis ma course sur le flanc gauche d’une camionnette UAZ. Heureusement, seule la tôle a souffert. Alors que je rêvais de faire les pleins, de manger et dormir, je passerais la journée au poste à remplir les formalités d’assurance pour que le pauvre propriétaire qui n’avait rien demandé puisse être dédommagé de cette grosse connerie. Premier accident avec un tiers de ma vie. Je ne suis pas fier.

Enfin, j’arrive en ville vers dix-neuf heures. Je demande la direction d’un « bankomat » à la première personne croisée : Constantin. Il me guidera dans mes recherches et surtout m’invitera à passer deux nuits chez lui pour me refaire une santé. Ce dont je rêvais la veille devient réalité : un bon bain chaud, des affaires propres, et un bon gueuleton. Sur les mille bornes, l’auto a aussi souffert encore un peu, la traverse de doubles amortisseurs, réparée en Mongolie, a de nouveau cassé. Nous ferons donc toutes ces réparations tous les deux, à vingt degrés dans la chaleur de son garage chauffé.

Décidément, la chaleur du cœur des Russes compense largement le déficit du thermomètre. Cette nuit, il a fait encore moins quarante. À deux cents kilomètres vers Magadan se trouve la ville où ont été enregistrés –72 °C. J’y serai dans la semaine.

Bises

Marc