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Terre de Feu

Tierra Del Fuego, le pays du vent

 

Coincée entre le détroit de Magellan au nord et le cap Horn au sud, la Tierra Del Fuego (Terre de Feu) est le prolongement naturel de la Patagonie. La ville d’Ushuaia, capitale de la région popularisée par Nicolas Hulot, s’enorgueillit d’être la ville la plus australe au monde. Pour le simple voyageur que je suis, ce ne sera que la ville de départ d’un périple motorisé sur la terre del viento (le vent), des gauchos et des manchots.

 Textes et photos : Marc Mellet

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L’arrivée à Ushuaia a quelque chose de magique. Non pas que la ville soit extraordinairement attrayante au premier abord, mais ce nom résonne depuis si longtemps dans mon imaginaire que je suis convaincu que la ville détient l’une des clés de ma personnalité. Comme beaucoup, j’ai été bercé à grands coups de séquences « exaltation » par les aventures d’un Nicolas Hulot toujours trop pressé d’en découdre avec lui-même. C’est donc plein d’espoirs que j’effectue mon premier pas sur la Tierra Del Fuego.

En ce mois de décembre, en plein été austral, la ville ressemble à une station de ski sans neige. Les toits de tôle ondulée sont peints de couleurs vives pour générer un peu de gaîté dans une cité où il ne fait jour que quelques petites heures au cœur de l’hiver. L’impression familière est accentuée par le climat qui ressemble étrangement à celui de Paris quitté quelques jours plus tôt. Après la chaleur suffocante de Buenos Aires, capitale située à 3300 kilomètres plus au nord, voici le froid vivifiant.

Sur place, un Toyota Hilux double cabines m’attend. Curieusement, le modèle vendu en Amérique du Sud est le même qu’en Europe. Pour réduire les frais, je loue le véhicule avec un américain rencontré dans l’avion. À pile ou face, c’est David qui remporte le droit de rouler lors du premier essai en direction du Parc National. Malgré son manque d’habitude des boites mécanique, nous arrivons sains et saufs pour une visite pédestre. De l’aveu des gardes forestiers, la réputation des parcours fléchés est un peu surfaite. Après négociation, ils nous indiquent les points forts qui se trouvent à quelques kilomètres des chemins balisés. Outre les paysages fort spectaculaires du littoral, le plus impressionnant concerne les destructions engendrées par les barrages des castors. Le niveau des cours d’eau est monté suffisamment haut pour noyer un nombre très important d’arbres qui ne sont plus que d’étranges sculptures grises, tels des symboles de désolation. Le climat trop froid et trop sec empêche toute putréfaction. Depuis un siècle, les milliers de troncs d’arbres, jadis abattus par les bagnards, reposent toujours au pied de leur souche. Ils n’ont jamais été commercialisés, à cause de la concurrence de l’industrie du bois chilienne. David, bien mieux documenté que moi, m’explique que les castors ont été importés en 1946 du Canada par la Marine nationale argentine qui espérait faire un commerce lucratif de leurs fourrures. Malheureusement, il n’a pas fallu beaucoup d’années pour que la Marine perde tout contrôle sur les destructions engendrées ainsi que sur leur taux de reproduction exponentiel. Il y aurait maintenant plus de 45 000 castors. Autant que d’habitants à Ushuaia. Nous retournons en ville pour un asado, le traditionnel méchoui argentin. Un régal à base d’une des viandes les plus tendres du monde.

TERRE DE FEU-MELLET037Aujourd’hui, il nous faut faire les courses pour la semaine à venir, car demain nous partons à la découverte de la grande île. David a pris les choses en main, j’en profite pour explorer les musées de la ville et l’ancien bagne qui n’a plus qu’une vocation touristique. À quatorze heures, nous embarquons sur le Tolkeyen, un catamaran moderne à la découverte du Canal de Beagle, peuplé des loups de mer et du Phare du bout du monde. En discutant avec l’équipage, j’apprends que le bateau se rend de temps en temps à Puerto William sur la rive chilienne du canal… encore plus au sud. Car Ushuaïa joue sur les mots : il s’agit bien de la Ville la plus australe au monde, mais le village chilien représente bien la population permanente qui vit le plus au sud de notre globe.

Le jour J, la double cabine n’est pas de trop pour contenir tous les effets personnels de mon nouveau camarade. La ballade commence par le bord de plage, nous longeons le canal de Beagle pour rejoindre l’estancia Haberton, la plus vielle de la région. En 1886, Thomas Bridge, le pasteur qui a fondé Ushuaia en 1862 y installa sa famille. Ses descendants possèdent encore plusieurs milliers de moutons et permettent la visite de l’endroit. Nous déjeunons sur place et embarquons sur un Zodiac pour rendre visite à l’une des nombreuses colonies de manchots de Magellan qui peuplent l’archipel. Le spectacle est saisissant. C’est à se demander qui de l’homme ou de l’animal est le plus curieux. Les manchots sont à notre contact lorsqu’il est déjà temps de repartir. Alors ils retournent à leur principale activité : remonter des pentes abruptes, glisser sur le ventre, se sécher au soleil.

TERRE DE FEU-MELLET036La piste qui rejoint la route principale permet quelques rencontres avec la faune de la région : guanacos (sorte de petit lama), castors, renards gris et moutons en pagaille. En prenant soin de refermer les barrières à chaque passage, nous traversons les terres de quelques estancias pour rejoindre la route la plus connue d’Amérique du Sud : la Panaméricaine. Rien qu’en Argentine, la route N° 3, véritable équivalent sud-américain de la route 66, parcourt 4000 kilomètres. Nous effectuons une infime partie de cette route où je n’arrête pas de penser aux sentiments de tous ces voyageurs aux longs cours qui exécutent ici leurs derniers kilomètres après un périple de plusieurs dizaines de milliers de kilomètres. Le sentiment d’accomplissement doit être à son comble lors de l’arrivée vers Ushuaia.

TERRE DE FEU-MELLET038Aux abords du lac Fagnano, véritable mer intérieure d’eau douce tant ce lac est grand, le vent commence à se lever. Difficile de tenir un cap lorsque les rafales déstabilisent en permanence l’auto. Une bourrasque va finir de déstabiliser notre pick-up puisque David n’arrivera pas à corriger la glisse engendrée par un coup de volant compensatoire violent. Nous finirons notre course plantée de l’avant dans une mare de boue, incapable de sortir par nous-mêmes. J’en serais quitte pour une randonnée de trois heures pour relier le plus proche village et trouver un camion apte à nous sortir de notre mauvais pas. Pour fêter cette aventure et se faire pardonner, David débouche une bonne bouteille du cru local qui n’a rien à envier à nos vins nationaux.

Après un réveil difficile, il nous faut partir sur Rio Grande. En route, les paysages traversés sont sensiblement différents de la veille. Petit à petit, les endroits boisés deviennent rares. Les plaines se font immenses, les dénivelés moins importants. La Patagonie à l’identique. Devant la monotonie du lieu, nous prévoyons de longues pauses pour observer les grands troupeaux de guanacos ou quelques renards solitaires et préférons faire un stop dans une estancia réputée. Originellement ferme d’élevage, les estancias ont trouvé une diversification lucrative dans le tourisme vert. Chacune rivalise de créativité pour proposer des activités attrayantes. Celle qui vient de nous ouvrir ses portes est spécialisée dans la pêche à la truite. L’après-midi sera donc consacré à l’apprentissage du lancer de mouches. La seule et unique prise, une belle truite de quatre kilos (le record national argentin est de 16 kilos) suffira pour le repas du soir.

Au petit matin, il nous faut déjà rentrer. La route F permet de prendre un chemin différent de l’aller. Les étendues sont encore différentes dans leurs couleurs et leurs reliefs. Sur la route, nous rencontrons un motard allemand en panne sèche. Il est parti depuis trois semaines de Buenos Aires. Après avoir chargé sa moto dans la benne, nous lui servons d’escorte jusque Ushuaia. Avec l’immense privilège de voir apparaître dans ses yeux l’accomplissement de trois semaines de ballades inoubliables. Il est alors temps pour moi de reprendre l’avion. Le survol de la cordillère est absolument fantastique, mais il me manque déjà quelque chose : le bruit du vent.

 

La Terre de Feu en bref

Localisation : Archipel situé à l’extrémité sud de l’Amérique du Sud continental séparé par le Détroit de Magellan entre 52° 30 et 56° S.

Superficie : 71 500 km2 appartenant à 60 % au Chili, 40 % à l’Argentine

Climat : Frais, caractérisé par de violents vents de sud-ouest qui soufflent du Pacifique toute l’année particulièrement entre la fin août et mars.

Capitale de la région : Ushuaïa

Population : 36 millions d’habitants en Argentine, 45 000 à Ushuaia. Moins d’un habitant au kilomètre/carré en Terre de Feu.

Religion : Catholique à 90 %

Activités économiques : Tourisme, pétrole et moutons

 

Conseils Pratiques

Décalage horaire : moins 5 h en été et moins 4 h en hiver.

Monnaie : Le peso.

Langue officielle : l’espagnol. Le « castillano » est parlé partout avec quelques variantes par rapport à l’espagnol classique (« ll » se prononce che).

Formalités : Passeport sans visa pour un séjour touristique de moins de trois mois..

Routes : Conduite à droite. Il y a très peu d’asphalte, les pistes sont en bon état. La neige est présente une bonne partie de l’année

Santé : Pas de risque sanitaire particulier

Avion : 12 heures pour Paris/Buenos-Aires, 4 heures pour Buenos-Aires/Ushuaïa.