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Kamtchatka, un bon bol d’adrénaline

Et si cette première année de voyage et d’aventures n’avait été qu’une préparation pour les pistes du Kamtchatka ? Il aura fallu bien des péripéties et aussi quelques galères pour atteindre cet endroit. Nous sommes les premiers étrangers à poser nos roues sur le sol du Kamtchatka. Désormais, nous dépassons le stade de l’aventure pour toucher à l’extrême et même à la légende.

En arrivant à Petropavlovsk Kamtchatsky, la taille des 4X4 que nous croisons nous impressionnent assez défavorablement. Ce sont de véritables monstres montés sur des roues de plus d’un mètre de diamètre. De quoi donner un aperçu des pistes qui nous attendent. Comment allons-nous faire avec nos petits pneus de 80 centimètres ? Sommes-nous inconscients, fous ou juste très optimistes ?

Kamtchatka019Il n’est pas possible de s’élancer à l’assaut des pistes du Kamtchatka sans être un peu tout cela à la fois. Mais ne vous y trompez pas ! Les risques sont étudiés, mesurés et nous connaissons parfaitement les possibilités de l’Isbamobile ainsi que nos propres limites.

Pour prendre la mesure des routes du pays, nous partons à l’assaut des volcans Tobalchik et Kliouchevskoy. Pour atteindre les plus beaux points de vue, rien de plus simple ! Il suffit d’escalader les montagnes, en voiture évidement.

Kamtchatka018Après pas mal d’efforts, à l’aide des chaines à neige, du treuil et moyennant quelques coups de pelles, nous parvenons au pied des volcans. Parti du niveau de la mer, nous arrivons à 1500 mètres d’altitudes. Le Kliouchevskoy crache une épaisse colonne de fumée. À 360 degrés au moins quatre autres volcans et des montagnes se profilent à l’infini. Parfois, le bonheur se mesure à l’aune des efforts fait pour y parvenir. Au soleil couchant, les volcans prennent des teintes de feu pendant que nous hurlons de joie dans ce désert glacé.

Au réveil, une tempête calme les esprits et nous levons le camp en urgence pour ne pas risquer de nous retrouver coincés. Petit moment de panique quand le GPS refuse d’afficher nos traces de la veille que le vent a déjà balayées. L’adrénaline nous dope tout à long de notre progression entre neige, pierres et crevasses. Malgré la peur et un froid glacial, nous devons garder un témoignage de ces moments. Nous sortons régulièrement faire des photos et des vidéos, mains roidies de froid et visages figés par la tempête. Pour cette fois, nous triomphons à nouveau d’une situation difficile, mais c’est frigorifiés et harassés de fatigue que nous parvenons à la ville suivante.

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Kamtchatka005Notre route n’est jamais tracée d’avance, mais nous décidons de nous donner pour objectif l’extrémité Est du Kamtchatka. Pour cela, nous devons prendre plusieurs bacs et nous diriger vers une petite péninsule près de la ville d’Ust-Kamtchatsky. Après avoir traversé un village plus ou moins abandonné, les grands espaces s’offrent à nous.

De nombreux saumons finissent leurs parcours dans des rivières en partie gelées et nous les pêchons à mains nues pour agrémenter nos repas. Nous sommes dans le paradis des ours dont nous voyons de nombreuses traces sans pouvoir en voir un seul. « Au bout de cette péninsule, à Mys Africa, il y a plein d’ours » : nous ont affirmé des russes sans imaginer une seconde que l’on en fera notre prochaine cible. (…lire aussi l’histoire d’un rendez-vous manqué).

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Pas d’hésitation à avoir, nous filons droit vers Mys Africa. Une décision dont nous nous rappellerons longtemps. La piste commence à devenir de plus en plus difficile. Nous tombons dans des ornières géantes et devons traverser de nombreuses rivières plus ou moins gelées. Nous ne pouvons même pas dire combien de fois nous restons plantés dans la boue, combien de fois nous passons au travers de la glace des rivières. La progression est très difficile et il nous faut de plus en plus de temps pour nous sortir de chaque piège. Notre chemin devient un véritable parcours du combattant. Ici, nous sommes seuls au monde.

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Au bout de 36 heures de luttes, nous avons parcourus quelques vingt kilomètres à peine. Arrivés à seulement dix kilomètres de notre objectif, une rivière en furie nous barre la route. Le reste du paysage n’est qu’un vaste champ de tourbe. Impossible de traverser la rivière, la voiture se ferait emporter par la force du courant. L’option zone de tourbe est également inenvisageable, car il n’y a plus rien pour accrocher le treuil. La mort dans l’âme, nous n’avons plus d’autres choix que de faire demi-tour. Comble de malchance a température est dangereusement remontée de -10C° à +6C°et la pluie tombe continuellement. Les cours d’eau que nous avons déjà péniblement traversés à l’aller sont en plein dégel. Les rivières sont profondes et l’eau dépasse largement la hauteur du capot. La neige et la glace font place à la tourbe et à une grosse épaisseur de boue.

Chaque franchissement est une petite victoire arrachée de haute lutte. Nous espérons encore que le nombre de nos travaux ne dépassera pas ceux d’Hercule. Le jour va se coucher, nous sommes à bout de force alors qu’une folle montée pleine d’ornières, de devers et de boue se dresse devant nous. Marc me dit : « Sort filmer l’action, je fais une tentative sur cette montée. Si ça ne passe pas, on plante le bivouac en bas et on verra demain ». Eh bien en quelque part, nous avons fait exactement comme il a dit ! L’Isbamobile s’élance, lancée à fond de train, elle s’incline de plus en plus dangereusement. En une seconde, tout bascule et surtout la voiture ! L’Isbamobile git sur le flanc gauche.

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Kamtchatka029Mon premier réflexe est de lâcher quelques bordées d’injures avant de lâcher la caméra. Puis je me dis que nous sommes sur une scène clé et dans une situation improbable. Il faut continuer de filmer la séquence. Je m’encourage : « Pas de panique ! Alors bon déjà, faire la mise au point. Arrêter de trembler. Compter jusqu’à six. Voilà maintenant couper l’image et courrir pour voir si Marc va bien ». Il s’extrait péniblement par la fenêtre passager pendant que je glisse dans la boue pour le rejoindre. Il est indemne et c’est un gros soulagement. Par contre au niveau de la voiture, il faut bien dire que c’est une catastrophe. Le village le plus proche se situe à une quarantaine de kilomètres à vol d’oiseau. Aucune chance de croiser un véhicule dans les environs. Nous ne pouvons compter que sur nous-même.

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Marc sécurise la voiture grâce au treuil avant afin qu’elle ne dévale pas la pente boueuse. Nous récupérons péniblement le nécessaire pour planter un bivouac de fortune en contrebas. À la lueur des frontales, nous plantons la tente dans la tourbe. De nombreuses traces d’ours sont visibles dans les environs. Après avoir longtemps espéré en voir un, cette nuit-là, notre souhait le plus grand est qu’ils se tiennent à distance. La nuit est courte, humide et entrecoupée de réveils en sursauts et de mauvais rêves. Un cauchemar récurrent revient, où nous sommes au milieu de nulle part avec la voiture sur le côté. Au réveil, il est dommage de constater qu’il ne s’agit pas d’une illusion.

À l’aube, nous envisageons les maigres possibilités qui s’offrent à nous. Soit nous parvenons à remettre la voiture sur ses roues, soit nous n’avons plus qu’à partir à pied au village demander de l’aide. Nous nous affairons autour de la voiture. Il s’agit de réfléchir soigneusement à un réseau complexe de poids et de contrepoids. Seuls les treuils peuvent nous sortir de là, mais une seule tentative est possible. Nous n’avons qu’une très faible réserve de batterie puisque nous ne pouvons démarrer le moteur. A l’aide des deux treuils, avant et arrière et de toutes les sangles que nous ayons à disposition, nous tentons le sauvetage ultime. Nous pataugeons dans la boue, tombant sans cesse tant la pente est forte et glissante. L’Isbamobile est  au centre d’un réseau complexe de câbles, un peu comme un grand malade sur son lit d’hôpital. Parviendrons-nous à réaliser l’impossible exploit de la remettre dans le bon sens ? Le souffle coupé, nous regardons  avec angoisse la voiture se redresser doucement sous l’action du treuil avant. C’est gagné !

Une fois stabilisée il faut bien sûr s’activer autour du moteur qui a passé une douzaine d’heure dans un sens peu conventionnel. Marc retire une à une les bougies de préchauffage dont certaines sont en effet couvertes d’huile. Si nous avions tenté de démarrer sans passer par cette étape, nous aurions probablement cassé le moteur. Le rangement du matériel, et la constatation des premiers dégâts nous prend tout le reste de la journée. Le rétroviseur est cassé, la vitre latérale arrière a explosé et la carrosserie a souffert. Tout est sens dessus dessous dans la voiture et la boue est omniprésente à l’extérieur comme à l’intérieur. Nos sangles sont détrempées et couvertes de boues. La température repart à la baisse et nos affaires mouillées se transforment en glace. Il ne faudrait pas se planter encore une fois car le treuil arrière est bloqué, le treuil avant mal en point et nos sangles sont gelées.

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Nous remballons tant bien que mal nos dernières affaires. Le soulagement fait place à l’épuisement et chaque geste devient de plus en plus pénible et mécanique. Nous avons encore une bonne dizaine de kilomètres à effecteur sur une piste d’enfer avant d’atteindre une meilleure route. L’adrénaline nous dope et nous pousse dans les limites ultimes de nos forces. Nous sommes bien au-delà de la peur, de la fatigue et du stress. Nous flottons dans un monde parallèle entre épuisement physique, nerveux et concentration totale. Quel bonheur de retrouver la voiture pour la nuit, d’autant plus que les températures redescendent en flèche. Bientôt moins vingt-cinq degrés et l’occasion de se rendre compte que notre système de chauffage, écrasé durant la chute, ne fonctionne plus.

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Kamtchatka017Nous ne réalisons pas encore ce que nous venons de surmonter. Pour moi, nous avons juste triomphé d’une très grosse galère et ce fut un des moments les plus difficiles de ce voyage. Il faudra notre rencontre avec les membres d’un club de 4X4 à Petropavlovsk Kamtchatsky pour mieux comprendre la prouesse que nous venons de réaliser. Ces personnes ont accompli l’exploit de rallier Magadan par la terre depuis le Kamtchatka. Ils ont également monté une expédition pour atteindre Mys Africa. Leur leader, Oleg s’exclame en voyant nos images : « Je me suis retourné exactement au même endroit, mais sur le côté droit. Pour aller là-bas, nous étions à cinq véhicules montés sur des pneus gigantesques et en septembre car après ce n’est plus possible. Comment avez-vous fait tout seuls pour vous sortir de là! ». Toute l’équipe nous regarde avec admiration et vient nous serrer la main avec respect : « Vous avez réalisé quelque chose d’incroyable, ce que vous faites est tout simplement hallucinant ! ». C’est dit, nous sommes désormais amis pour la vie et nous scellons cette rencontre à grand renfort de vodka en criant à la cosaque « Hourra ! Hourra ! Hourra ! ».

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Nous avons passé un mois au Kamtchatka. Ce qui était le but de ce voyage s’est transformé en une aventure unique. Il est dur de tourner la page sur ce que nous avons vécu et vu ici. Il est encore plus dur de traduire cette sensation d’extrême et d’exaltation permanente. Il faudrait des pages entières pour tout raconter. Ici nous avons filmé sans relâche, même dans les moments les plus fous. C’est décidé, si l’intégralité de ce voyage mérite un livre, notre séjour au Kamtchatka vaut bien un film.