[ Retour ]

Kidnappés par des moines orthodoxes !

S’il ne faut retenir qu’une rencontre parmi les nombreuses personnes croisées dans le Sud du Caucase, c’est sans hésiter notre découverte de la communauté des moines de C*** en Géorgie.

C’est par le plus grand hasard que nous arrivons jusqu’à ce monastère lors de notre première nuit dans le pays.  Deux moines nous voient arriver d’un air un peu défiant. Ils nous autorisent néanmoins à passer la nuit légèrement en contrebas de l’église. Au réveil nous nous promettons de visiter la chapelle et de reprendre la route. Erreur ! Les moines nous attendent de pied ferme pour nous convier à manger. Dans le réfectoire, pendant que notre soupe réchauffe, un concert s’improvise dès notre arrivée. Des guitares à trois cordes apparaissent, les frères se rassemblent et entonnent de leurs voix puissantes des chants polyphoniques géorgiens. Les larmes aux yeux devant la beauté de cette musique et devant l’accueil qui nous est fait, nous applaudissons à tour de bras. Les visages de nos hôtes se dérident devant nos sourires ébahis et la discussion s’engage. Le dialogue est fait un mélange de langues, sorte d’esperanto auquel s’ajoute beaucoup de gestuel et de mimiques. Une petite dizaine de moines vivent ici. Ils sont tous très jeunes et abstraction faite leurs longues robes noires, ils donnent plutôt l’impression d’une bande de jeunes en colonie de vacances. Ils tentent impitoyablement de nous enseigner des rudiments de géorgien. Cette langue n’est pas seulement indéchiffrable, elle est aussi très difficilement prononçable. Les fous rires fusent devant nos misérables bégaiements. Le ton change quand nous faisons la connaissance du supérieur du lieu, le père Dimitri. Grand et solide gaillard à la longue barbe poivre et sel, il a beaucoup de prestance. Devant lui nos jeunes moines deviennent craintifs et baissent les yeux.

Internet5Ce n’est qu’après le repas du soir que nous leur avons promis de partager, que nous pénétrons enfin dans l’église. À l’heure de la messe, la lumière des cierges seuls éclairent de vieilles fresques. L’endroit est sublime. Les chants ponctuent la cérémonie et l’odeur de l’encens se répand. Nous nous massons autour du poêle pour nous réchauffer. Pendant que Marc prend des photos, nous parlons des acteurs français qu’ils connaissent, Gérard Depardieu en tête, et des joueurs de rugby géorgiens venus jouer en France. L’ambiance est très détendue et chacun vient regarder les photos de Marc par-dessus sont épaules. Celles-ci sont visiblement à leur goût et il devient le photographe attitré du monastère. Chaque icone et chacune des parties de l’église doit passer sous son objectif.

Le jour d’après nous décidons de sortir un enregistreur pour garder trace de ces extraordinaires chants profanes et religieux. Marc sort également le drone pour quelques images aériennes. Évidemment, le temps de leur transférer les photos et les enregistrements, les moines nous demandent de rester manger le soir avant de partir. Attention ! C’est un piège, et que ces moines sont perfides ! Ils sortent le cognac et après quelques verres nous décrètent en riant : « Puisque vous avez pris de l’alcool, vous ne pouvez plus partir ! » C’est tout à fait vrai puisque le degré d’alcoolémie toléré au volant est de zéro en Géorgie.

Le lendemain matin, après le repas servi à dix heures, ils nous supplient de rester encore : « Dans deux jours a lieu le noël orthodoxe, vous ne pouvez absolument pas manquer çà ! » Il n’y a désormais plus l’ombre d’un doute, nous nous sommes fait kidnapper par des moines orthodoxes !

Les deux jours qui précèdent Noël sont consacrés à la préparation des divers plats qui composeront le banquet d’après la cérémonie. Des jeunes femmes viennent prêter main forte car plus de cents personnes sont attendues. Fort heureusement elles parlent anglais et nous servent d’interprètes. Nos geôliers apprennent sans s’émouvoir plus que cela que nous ne sommes pas même baptisés et ni mariés. Pas de soucis, à leurs yeux nous sommes de bonnes personnes et c’est tout ce qui importe.

Dans la cuisine, Maria, Londa, Salomé et toutes les autres s’agitent, hachent et coupent les divers ingrédients. Je leur prête main-forte en discutant beaucoup, m’interrompant juste pour goûter à tous les plats. Que c’est bon ! J’apprends ainsi que les femmes doivent porter un foulard sur les cheveux, surtout à l’église. Elles ne doivent pas croiser les jambes dans un monastère, doivent porter une longue robe ou une longue jupe mais pas de pantalon. Bref j’ai tout faux mais personne ici ne m’en tiens rigueur!

Au matin de Noël nous sommes conviés à l’inauguration d’une nouvelle église. Construite par toute la communauté, l’évêque de la région est accueilli en grande pompe pour la consacrer. C’est un vrai renouveau religieux que l’on observe dans ce pays mis à mal par des années de communisme. Les bâtiments ont soufferts, de nombreuses fresques ont été détruites. Des travaux de restauration sont entamés partout dans les lieux de culte du pays.

Galerie510008

La cérémonie du matin dure trois heures, et les églises ici ne possèdent pas de bancs pour s’assoir. Cela promet pour la soirée de Noël ! En effet celle-ci débute à vingt-deux heures et s’achève à trois heures du matin. La petite église de Chule est bourrée de monde. Une jeune femme m’explique le rituel et la symbolique de chaque partie de la messe. Vers deux heures du matin, les fidèles sont épuisés et certains dorment un peu, appuyés sur les murs. Les jambes sont lourdes, le dos endolori, mais la ferveur est palpable jusqu’au bout. Les chants résonnent, toujours aussi magnifiques et nous permettent de tenir debout. La nuit n’est pas finie, le banquet nous attend jusqu’au petit matin. Les tables sont couvertes de nourritures et de litres de vins. Les heures s’écoulent ponctuées par les rires, les chants et surtout par les toasts portés par le Tamada. C’est un personnage typique et traditionnel du pays. Il désigné pour prononcer les discours et dédier les toasts. Ils sont portés à la patrie, à nos grands-pères, à nos mères, à nos morts, à l’amitié…etc. Autant dire qu’ils s’enchaînent très vite et qu’il s’agit de boire son verre de vin en entier sans broncher. A huit heure du matin, quelques irrésistibles géorgiens tiennent encore debout, sous l’œil bienveillant des moines. Nous parvenons à nous extirper du monastère et à regagner nos pénates tels des zombies surnutris.

Après quelques heures de sommeil et un dernier repas passé ensemble, nous quittons nos moines. Les traits tirés par notre veillée masquent mal notre émotion. Nous avons tous la gorge serrée, et les adieux s’éternisent. Nous reverrons nous un jour ? Bien belle rencontre que le hasard nous a amené là et il est très dur de quitter des amis aussi bons, joyeux et généreux. Dans la voiture, leurs chants résonnent sur l’autoradio et nous donnent des frissons. C’est sans doute cela qu’on appelle des moments de grâce ?