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Sibérie, le salaire de la peur


Notre voyage en un clin d’oeil du départ à l’arrivée :


     

    Retrouver la Russie, c’est renouer avec un quotidien de voyage fait de grands espaces et d’aventures. Bien sûr, je m’apprête à affronter ma plus grande peur, le froid de l’hiver Sibérien. Pourtant, la suite de l’histoire me prouve que c’est loin d’être la difficulté la plus insurmontable.

    news12040Notre plan initial ? Traverser de lac Baïkal gelé. Une perspective déjà en elle-même délicieusement effrayante. Mais lorsque nous entendons qu’il est possible de rallier le lac via une petite piste défoncée de 1 300 kilomètres, nous n’hésitons pas une seconde. C’est donc par la route qui suit la ligne de chemin de fer Baïkal-Amour-Magistrale que nous rallierons le lac.

    En quelque part, on peut dire que c’est une idée de génie. Dans ce sens où si nous voulions éviter la facilité, ben c’est gagné ! Glace, trous, ornières et ponts effondrés sont notre lot quotidien. Nous tressautons dans la voiture, dérapons sur la glace, manquons de tomber dans un nombre incalculable de trous et de rivières. Bref, nous faisons une bonne provision d’adrénaline chaque jour. Mais pour que cette collecte de sensations fortes soit complète, Marc élève encore le niveau.

     

    La piste nous oblige parfois à rouler sur le ballast, au plus près la voie de chemin de fer. L’occasion pour Marc de faire quelques photos des trains que nous croisons. L’œil collé dans le viseur de son grand angle, il ne gère plus vraiment le volant et perd la notion des distances. Le ballast au sol nous fait brusquement dévier vers un convoi lancé à pleine vitesse. Je hurle de terreur : « Attention, vas à droite ! À droiiiiite ! ». Marc sursaute et redresse de justesse notre direction. Pour avoir vu la mort en face ce jour-là, je peux en témoigner. La mort ce n’est pas un tunnel avec de la lumière au bout. Non, la mort c’est un train vert !

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    news12008Alors c’est sûr qu’il fait -40°C dehors et que, par ailleurs, le chauffage de l’habitacle ne marche plus. Mais finalement pour lutter contre le froid, il suffit tout simplement de focaliser son attention sur autre chose. À savoir pour nous : « Ne pas mourir ». Un bon moyen pour faire abstraction, le soir, lorsque nous nous glissons avec délices dans nos duvets couverts de glace. Grelotter, ça veut dire être en vie.

    Avant de quitter la BAM road, nous décidons d’aller faire un tour sur un fleuve gelé. Petit entrainement en vue de la traversée du lac Baïkal. Tout se passe plutôt bien jusqu’à ce que, brusquement, la voiture s’affaisse de l’arrière. Nous sommes en train de passer à travers glace ! C’est en accélérant frénétiquement en direction de la berge pour nous mettre à l’abri, que nous butons sur une grosse pierre cachée par la neige. La lame maîtresse avant droite casse nette La nuit tombe et c’est la peur au ventre que nous rebroussons chemin. Ce prélude sur le fleuve n’est pas pour nous rassurer quant à notre prochaine traversée du lac Baïkal. 400 kilomètres à effectuer sur la glace. Etonnamment, cette perspective nous donne par avance quelques sueurs froides.

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    news12026Au Nord-Ouest du lac Baïkal, se trouve le point d’entrée sur la glace. C’est en respirant un grand coup que nous posons nos roues sur le lac. Le danger principal réside dans le déplacement des plaques de glaces. Le mouvement le plus dangereux étant sans conteste celui qui tend à les écarter, créant des failles. Celles-ci peuvent aller de quelques centimètres à plusieurs mètres de large. Nous devons donc envisager comme probable, la possibilité de perdre l’Isbamobile dans une eau glacée. À peine le temps de se familiariser avec les difficultés et de prendre un peu d’assurance, que nous nous retrouvons dans un brouillard épais. La visibilité est nulle, mais les obstacles n’ont pas disparus pour autant. Il nous faut bien deux paires d’yeux pour tenter de percer les nuages et éviter la faille de trop. Une fois de plus, c’est le stress total. Malgré nos pneus cloutés, notre distance de freinage est énorme. Si une importante cassure dans la glace survient, il sera trop tard pour réagir et ce sera le drame assuré. Nous n’avons plus qu’à prier à chaque franchissement pour que la glace tienne le coup. Autant dire que nous retenons inconsciemment notre respiration un bon paquet de fois.

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    L’île d’Olkhon apparaît au loin. Nous venons d’effectuer 350 kilomètres sur lac Baïkal en un peu moins de six heures. Un sentiment de soulagement et de déception se mêlent. Quoi, ce n’était que ça ? Bien sûr, nous avons eu peur. Mais cette étape, nous y pensions depuis des mois avec appréhension. La réalité est bien moins effrayante que ce que nous avions espéré. Il ne faut plus se mentir, nous sommes tous les deux accros à l’adrénaline. Pour Marc, ce n’est plus vraiment une surprise. Mais pour ma part, cette révélation me laisse effondrée. Mince, ça y est, je suis devenue une aventurière.

    news12027Nous ne faisons qu’un bref passage sur l’île d’Olkhon. À peine quelques jours, le temps de réparer la lame avant droite et de repartir munie d’une jolie gastro-entérite dont je m’empresse de faire cadeau à Marc. Le partage en voyage, c’est primordial ! Nous sommes donc en pleine forme pour attaquer les cinquante kilomètres qu’il nous reste à traverser sur le Baïkal. La zone est particulièrement accidentée et nous ne trouvons pas de traces. C’est au cap que nous avançons, entre failles et zones de compressions. La progression est laborieuse et la peur finie de nous tordre les entrailles. À certains endroits, la glace se craquelle sous le poids de l’Isbamobile et nous accélérons brusquement pour nous sortir de là. J’ai peur. J’ai très peur. Du coup, j’ai changé d’avis. Je ne veux plus du tout être une aventurière.

    news12032Question de faire redescendre la pression, nous décidons qu’un peu d’exercice physique nous fera du bien. Alors nous nous plantons dans une congère, question de pelleter de concert dans la neige. Rien de mieux pour renforcer l’esprit de groupe ! Nous creusons un bon moment d’ailleurs, jusqu’à la glace en fait où les roues patines lamentablement. Après de nombreuses tentatives infructueuses, Marc me dit : « Il va falloir que tu pousses ». Alors, du haut de mes 54 kilogrammes tout mouillés, je me jette de tout mon poids sur le pare buffle pendant que Marc enclenche la marche arrière. Après plusieurs essais, je parviens à faire bouger les quatre tonnes de l’Isbamobile. J’exulte de joie, non seulement parce que nous sommes sortis de notre trous de neige et de glace, mais aussi parce que je viens de me découvrir des pouvoirs de supers héros. C’est bon, c’est décidé, je redeviens une aventurière !

    Quoique. Arrivés à moins d’un kilomètre du bord du lac, des monticules de glace forment un champ de bosses qui nous bloquent le passage. L’Isbamobile tente le passage en force. Mauvaise idée ! Nous faisons des bonds sur nos sièges et les chocs sont d’une violence rarement atteinte. La voiture se met à tanguer dangereusement. La caisse émet des bruits qui indiquent une dislocation imminente. Les bosses sont de plus en plus importantes et la voiture fait désormais de véritables sauts. Nous manquons de la coucher sur les côtés à chaque mètre. Nous effectuons un demi-tour chaotique à cinq cents mètres de la sortie. Nous plantons notre bivouac sur le lac pour cette nuit. Je me promets bien que l’aventure, c’est fini !

    Le lendemain matin, nous avons la chance de tomber sur des pêcheurs qui nous indiquent l’endroit où sortir pour atteindre la terre ferme. Nous reprenons gaiement la route principale en direction de la Mongolie. Il n’y a pas de quoi rire pourtant, nous roulons dans une épave, jumelle et lames à nouveau tordues, silent bloc et deux amortisseurs arrachés. Une réaction d’allégresse qui me renvoie à des questions que l’on nous pose fréquemment : « Vous n’êtes pas fatigués de voyager ? Et vous n’avez pas peur ? » C’est en toute sincérité que je réponds toujours : « Non, pourquoi ? ». Est-ce notre capacité d’oubli qui nous pousse à le penser vraiment? Où est-ce parce que, finalement, je suis une aventurière. Pour de vrai ?

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